C’était une journée de congé comme les autres. Une journée où le stock d’escalade s’empilait dans la voiture, un café à la main et le soleil sur le visage. Une journée lors de laquelle je me rendais à la paroi pour travailler un projet avec une amie. Un projet que j’entamais pour la première fois quelques semaines auparavant. Ce genre de premier essai où tu es reconnaissant d’avoir des amis patients après 45 minutes à décortiquer le crux afin de trouver ton beta…! Je me souviens de ce premier contact où l’enchaînement me semblait bien lointain. Un projet que je voyais sur quelques semaines, quelques mois même. Mais cette voie avait quelque chose. L’impression de danser sur la paroi lorsque les mouvements s’enchaînaient. Le sentiment de devoir contrôler chaque mouvement, chaque transition. Ce sentiment de compléter un puzzle mouvement après mouvement. Je me souviens d’avoir rêvé littéralement à mon enchaînement jusqu’au jour où je pourrais y retourner. Attendant cette opportunité entre le brouhaha du quotidien et les caprices de dame nature. Et ce matin, ça y était. J’allais enfin pouvoir analyser encore un peu plus, peaufiner mon beta. Un mélange d’excitation et de stress, j’avais hâte!

Le plan était clair : marcher jusqu’en haut, poser une moulinette et descendre en rappel pour mettre des dégaines histoire de s’entraîner à décliper et éviter les ballants. Puis rendu en bas quelque chose s’est produit. Ce genre d’instant inexplicable lors duquel il n’y a aucune pensée parasite, aucun stress. Ce moment où il le temps s’arrête et qu’il n’y a que la roche et le désir de grimper. Le moment où j’ai tiré la corde en me disant « je le feel, c’est quoi le pire qui peut arriver de toute façon?! ». Je me souviens de mes deux amies qui ont momentanément retenu leur souffle, surprises de ce que je venais de faire. Puis j’ai seulement dit à celle qui m’assurerait « soit prête à prendre des chutes ».

Un fist bump plus tard je partais en premier de cordée dans mon projet avec aucune anticipation ni aucune crainte. Seulement moi, la paroi et ma respiration. Les mouvements se sont enchaînés un après l’autre. Je voyais mes repos préalablement ciblés être délaissés sans autre analyse que l’état de ma fatigue actuelle. J’entendais la voix de mon amie me rappeler de respirer « Allez, ça va bien, respire ». Et puis le relais. Le son de la dernière dégaine. Je venais de sender mon projet 2 mois avant la date approximative anticipée au départ. J’étais surprise, émue, fière… et même pas fatiguée!

Ce matin-là le flow était venu à ma rencontre. Cet état que tout sportif et athlète, peu importe le niveau, recherche et désire retrouver. Ce moment magique lors duquel les habiletés physiques et mentales sont à leur apogée. Ce moment où un sentiment de liberté s’installe lors duquel aucune pensée négative ou analyse de soi n’interfère.

En y repensant aujourd’hui, tout y était pour que cela arrive. Je méditais beaucoup. Ma capacité de récupération était très élevée et mes temps de récupération très présents. Je n’avais aucune douleur, blessure, ni fatigue. Mon entraînement était optimal. J’avais travaillé le genre de mouvement que je retrouvais dans le crux en entraînement. J’étais avec des amis pour qui le plaisir est bien plus important que la performance. J’avais visualisé plusieurs fois mon enchaînement (j’y avais même rêvé plusieurs fois!). Et surtout, j’étais emballée, motivée et je n’avais aucun stress ni aucune pensée parasite en me réveillant concernant le « il faut que je send » ou le « je ne serai pas capable ». J’étais complètement dans l’instant présent.

De nature anxieuse, je dois travailler fort pour atteindre cette zone. Certains y arrivent plus naturellement, ayant moins facilement un discours parasitaire ou une fatigue importante qui s’accumule. Mais une chose est certaine c’est que cet état met en lumière le fait que je peux, comme le fait que nous pouvons tous. Que les pensées parasites, la peur, le stress et l’anxiété peuvent définitivement jouer pour beaucoup sur notre capacité à performer, peu importe nos objectifs. Et qu’apprendre à se connaître comme athlète physiquement, mais aussi mentalement nous permet de mieux cibler les conditions gagnantes et les facteurs de risque. Puis que de nous connaître, anxieux ou pas, nous ouvre la porte à s’outiller pour atteindre plus souvent ce moment parfait où tout s’arrête.

Ce temps d’arrêt où il n’y a que la paroi, vous, votre respiration et l’enchaînement.

 

Références 

Jackson, S.A. (2000). Joy, fun, and flow state in sport. Emotions in sport, 135–155.

Jackson, S.A. et Csikszentmihalyi, M. (1999). Flow in sport: The keys to optimal experiences and performances. Ontario: Human Kinetics.